Capsules historiques

Conditions inhumaines à bord des vaisseaux transporteurs

«Nous étions tellement entassés dans la cale des navires qu’il nous était impossible de nous coucher tous en même temps» (traduction). Tel est le témoignage d’un groupe d’Acadiens en exil à Philadelphie. Dans son livre A Great and Noble Scheme l’historien américain John Mack Faragher écrit «Les autres preuves des conditions de transport pendant le voyage sont dispersées et fragmentaires. Une fois les navires partis de l’Acadie, le gouverneur de la province britannique (Charles Lawrence, Nouvelle-Écosse) s’est lavé les mains de toute conséquence. Aucun dossier n’a été conservé et aucune question n’a été posée. C’est grâce au hasard que les faits devinrent connus» (traduction). Y a-t-il eu dissimulation de la part des autorités ?

Illustration équivalente tirée d’un «Cercueil flottant» pendant les horreurs de la Grande Famine et la migration des Irlandais entre 1845 et 1849 (artiste inconnu).

Le taux de mortalité sur les vaisseaux transporteurs des Acadiens fut considérable. Par exemple, le navire Endeavour, qui quitta le bassin des Mines avec 166 déportés, arriva à Boston avec seulement 125 passagers en vie. Un passager sur quatre mourut en mer. La plupart des navires étaient insuffisamment approvisionnés. Selon Faragher, quand la mer était agitée par des vents violents et d’énormes vagues les déportés criaient de terreur dans leurs prisons noires sous le pont, mais ne pouvaient être entendus par-dessus le rugissement de la tempête.

Trois vaisseaux britanniques lors d’une tempête en mer (Artiste Johan van der Hagen, courtoisie de Royal Museums Greenwich).

Les Acadiens étaient maintenus dans la cale pendant tout le voyage. Seulement six à la fois étaient autorisés à monter sur le pont toutes les 90 minutes en alternance. L’équipage craignait que les Acadiens se révoltent et prennent le dessus comme ce fut le cas avec le navire Pembroke parti de l’île aux Chèvres en face de Port-Royal en direction de la Caroline du Nord. Il n’y avait pas d’éclairage et la circulation d’air ne se faisait qu’à l’ouverture de la trappe. Une puanteur horrible envahissait les entrailles du vaisseau car il n’y avait aucune installation sanitaire. Le plancher servait de «toilette commune». Beaucoup furent atteints de la dysenterie qui est une diarrhée accompagnée de sang et/ou de mucus, et potentiellement mortelle. En outre, les vagues causaient un mal de mer insupportable. Le vomi se mélangeait alors avec les autres déchets sur le plancher. De plus, le déclin général de l’état de bien-être physique des déportés était exacerbé par les effets néfastes du stress, de l’anxiété et de l’épuisement total. Il n’est donc guère surprenant que des épidémies (généralement de typhus et de variole) se soient déclarées parmi les déportés soit au cours du voyage, soit à leur arrivée à destination causant la mort de plusieurs d’entre eux.

Peinture par George Rodrigue

Les Acadiens déportés ont été forcés de supporter des températures hivernales dans des navires sans chaleur sur les eaux glaçantes de l’Atlantique Nord. Cette peinture controversée par George Rodrigue, intitulée Insulte finale, montre un membre de l’équipage (une tunique rouge britannique) offrant un châle contaminé par la variole pour réchauffer un enfant. Elle illustre la conception graphique et subjective du Grand Dérangement telle que perçue par ce peintre louisianais. Cette image grotesque peut être interprétée de plusieurs façons sans être l’affirmation d’une réalité objective.

Aux fins d’accélérer la déportation des Acadiens et leur expropriation, les navires furent surchargés et pour faire encore plus de place à bord, les déportés furent obligés d’abandonner pratiquement tous leurs biens sur le rivage, où ils furent trouvés six ans plus tard par les colons anglo-américains venus s’accaparer des terres dépossédées. L’équipage des vaisseaux transporteurs traitèrent les Acadiens sans compassion comme des prisonniers de guerre, et pire encore comme du bétail errant.