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    – Quand les pêcheurs français se sont alliés aux colons acadiens
Le parc du Boutte-du-Cap
Le parc du Boutte-du-Cap, à Cap-Saint-Georges, Terre-Neuve (auteur Tango7174, licence CC BY-SA 4.0)

Dans la province de Terre-Neuve et Labrador, les Francophones sont très minoritaires (0,5%), mais plus concentrés dans trois régions principales : la péninsule de Port-au-Port, la capitale St. John’s et le Labrador. C’est dans la péninsule de Port-au-Port, sur la côte ouest de Terre-Neuve, que se situent les trois villages historiques qui forment le cœur authentique de la population terre-neuvienne d’expression française : Cap-Saint-Georges, La Grand’Terre et L’Anse-à-Canards.

L’origine de ces trois communautés remonte au 19e siècle, quand les colons acadiens de la baie Saint-Georges firent souche sur la péninsule de Port-au-Port avec des pêcheurs français qui s’y étaient établis. Pour comprendre les raisons de ce rapprochement singulier, il faut remonter au siècle précédent, en 1713, quand fut signé le traité d’Utrecht. Les Français venaient de céder aux Anglais la colonie de Plaisance et de renoncer à tout droit territorial sur l’île de Terre-Neuve. Mais ils avaient aussi maintenu un droit de pêche et de sécherie sur la côte nord de l’île, sans être autorisés à hiverner sur l’île ou y construire des établissements permanents.

Carte de la péninsule de Port-au-Port
Carte de la péninsule de Port-au-Port, à Terre-Neuve (auteur Muckapedia, licence CC BY 3.0)

En 1783, le traité de Versailles déplaça la zone de pêche française sur la côte ouest de l’île, englobant la péninsule de Port-au-Port, mais toute colonisation française restait en principe illégale. C’est pourtant à Point Sable (Sandy Point) et Saint-Georges, seul havre protégé de la baie Saint-Georges, que les premiers Acadiens s’installèrent dès la fin du 18e siècle. L’endroit semblait idéal, à l’abri des instabilités dues au conflit franco-anglais dans le golfe Saint-Laurent. Ensuite, l’immigration acadienne se poursuivit, toujours de façon plus ou moins licite, avec un pic important entre 1820 et 1850, à partir de l’île du Cap-Breton et des îles de la Madeleine. Vers 1850, les Acadiens de la baie Saint-Georges étaient beaucoup plus nombreux que les colons anglophones. Il y avait aussi des Français, peu nombreux. Qui étaient-ils ?

Les Français de Terre-Neuve

Pour la pêche sédentaire de la morue à Terre-Neuve, les armateurs recrutaient dans les ports normands et bretons des matelots de métier, mais aussi des hommes mi-marins mi-paysans qui venaient de l’arrière-pays plus pauvre. Les équipages étaient complétés par des mousses et des novices qui étaient ainsi formés avant de servir dans la marine nationale. La vie à bord des bateaux de pêche ou à terre sur les grèves était-elle trop pénible ? La perspective du service militaire obligatoire insupportable ? Ou l’attrait d’une bonne terre à cultiver irrésistible ? Certains pêcheurs devenaient alors déserteurs, sans doute encouragés par l’absence de police dans la baie Saint-Georges, où ils étaient majoritaires parmi les Français. C’est dans la deuxième moitié du 19e siècle que les Acadiens établirent des relations avec les nombreux déserteurs français qui s’étaient installés dans la péninsule de Port-au-Port. Pour la plupart, ces pêcheurs étaient d’anciens paysans bretons qui fondèrent des familles en se mariant avec des femmes acadiennes, forgeant ainsi une culture traditionnelle franco-terre-neuvienne.

Qui était le premier Acadien de la baie Saint-Georges ?

Peut-être s’agit-il d’un dénommé François Benoit, né vers 1764 aux îles Malouines (alors éphémère colonie française), de parents acadiens exilés en 1758 à Saint-Malo. Il se serait marié le 20 juillet 1790 aux îles Saint-Pierre et Miquelon avec Anne L’Officiel, fille d’Henri L’Officiel, premier colon français de la baie Saint-Georges. Les deux époux habitaient probablement déjà dans la baie Saint-Georges (source Gary R. Butler et site généalogique Geneanet, arbre de Karen Theriot Reader).