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  • Port-Royal (Annapolis Royal)
    – Victime des guerres par intermittence entre deux empires

Après un rude hiver (1604-05) exceptionnellement désastreux à l’île Sainte-Croix où près de la moitié des 79 colons français meurent du scorbut, Pierre Dugua de Mons (né à Royan, France) décide de transporter son établissement à Port-Royal, ainsi nommé par son équipage. Le site est majestueux et facile à défendre (aujourd’hui Annapolis Royal). Dans ses annales Samuel de Champlain le décrit comme étant « l’un des plus beaux ports que j’eusse vu en toutes ces costes » ajoutant « le plus propre et plaisant pour habiter que nous eussions vu ». La Première Nation Mi’kmaq, appelée alors « les Souriquois » par les nouveaux arrivants, les accueille chaleureusement à « Algatig », signifiant « notre place/endroit/campement ». Selon les Mi’kmaqs la terre y était fertile et le milieu naturel environnant riche en poissons et en gibier. Au printemps 1605 les quelques hommes de l’expédition (il n’y a pas de femmes) se mettent au travail pour construire des bâtiments avec les matériaux qu’ils ont rapportés de Sainte-Croix.

L'Habitation de Port-Royal
Salle à manger commune
L’Habitation de Port-Royal (réplique authentique), au lieu historique national de Port-Royal (Photo crédit : John Stanton, photos prises le 1er juin 2018)

D’après les esquisses de Champlain, l’Habitation de Port-Royal est un grand rectangle de 18 mètres (60 pieds) de longueur sur 15 mètres (48 pieds) de largeur, ressemblant à un hameau fortifié comme il en existe en France au début des années 1600. Au coin sud-ouest du rectangle, les pionniers construisent un bastion armé de quatre canons. La structure comprend des logements pour les colons, qui leur sont attribués selon leur rang. Occupant le coin nord de l’Habitation, se trouve une petite maison au toit pentu à pans coupés, où vivent Pont-Gravé et Champlain en 1605-06. Près de cette maison s’étale une rangée de plus petits logements destinés aux officiers. Un prêtre catholique et un pasteur protestant y vivent, ainsi que le chirurgien Deschamps et un charpentier de marine chevronné du nom de Champdoré. Au sud-ouest se trouve un dortoir pour les ouvriers spécialisés.

Au cœur des conflits franco-britanniques

Durant le premier siècle de son existence Port-Royal est la capitale de l’Acadie et sa ville la plus peuplée. De 1613 à 1710 elle change de souveraineté entre le royaume de France et celui de Grande-Bretagne pas moins de huit fois.

En 1613, Samuel Argall et ses hommes armés, venus de Virginie, s’en prennent à Port-Royal et la détruisent totalement. Huit ans plus tard, le roi Jacques Ier d’Angleterre accorde l’Acadie, qu’il renomme Nova Scotia, à William Alexander. Celui-ci y érige le fort Anne vers 1629. En 1632, le Traité de Saint-Germain-en-Laye restitue la Nouvelle-France (Port-Royal et Québec) à la France. Puis en 1654 Robert Sedgewick, commandant en chef de la flotte de la Nouvelle-Angleterre, capture Port-Royal en guise de représailles pour les activités des corsaires français contre les navires anglais, faisant ainsi tomber l’Acadie sous la Couronne britannique. En 1667, Port-Royal est à nouveau restitué à la France avec le traité de Bréda. Selon le recensement de 1671, la région de Port-Royal compte alors 361 résidents. En 1690 l’Acadie devient une fois de plus victime des affrontements. William Phips attaque et pille Port-Royal au nom du Massachusetts. Grâce au Traité de Ryswick de 1697, l’Acadie est restituée à la France pour une troisième fois. En 1710, le lieutenant-gouverneur du Maryland, Francis Nicholson, et Samuel Vecht, accompagnés d’une force de 3400 hommes s’emparent facilement de Port-Royal alors défendu par 300 militaires. Le gouverneur de l’Acadie, Daniel d’Auger de Subercase, capitule sans perte de vie. Port-Royal est rebaptisée Annapolis Royal en l’honneur de la reine Anne d’Angleterre. Vecht en devient le gouverneur. Trois ans plus tard avec la signature du Traité d’Utrecht de 1713 la France cède l’Acadie péninsulaire au Royaume-Uni, mais garde l’Isle Royale (le Cap-Breton) et l’Isle Saint-Jean (l’île du Prince-Édouard). En grande majorité, les Acadiens demeurent sur leurs terres et passent définitivement sous le régime britannique. Immédiatement après 1713, la France entreprend la construction de la forteresse de Louisbourg.

Au fil des conflits franco-britanniques les Acadiens se multiplient et continuent de s’étendre de Port-Royal à Pubnico (Pobomcoup) en 1653, à Beaubassin (Amherst) en 1672, à Minudie (Comté de Cumberland) en 1672, à Rivière-aux-Canards (Canard) en 1675, à Grand-Pré en 1682, à Pisiguit (Windsor) en 1684, à Chezzetcook (Halifax) en 1688, et à Cobéguit (Truro) en 1689.

Il est manifeste que Port-Royal, à l’épicentre des lucratifs bancs de morues devenus un champ de bataille entre grandes puissances, a servi de monnaie d’échange entre deux empires. L’Acadie fut donc un territoire aux frontières constamment contestées, fluctuant au gré des affrontements et des traités avec pour effet de rendre les serments d’allégeance aléatoires et la gouvernance instable. Aujourd’hui, c’est dans un vent de renouveau que le peuple acadien devenu une diaspora admirable s’affiche à l’échelle du monde toujours guidé par la Stella Maris ainsi que par la philosophie de Socrate, penseur de la Grèce antique, qui a dit « Le secret du changement, c’est de concentrer toute son énergie non pas à lutter contre le passé, mais à construire l’avenir ».