Capsules historiques

Aux îles Malouines, 200 Acadiens au bout du monde avec Bougainville

Le Grand Dérangement
Monument du Grand Dérangement (Auteur Quiet kiai, licence CC0 libre de droits)

Les îles Malouines ont été désertes jusqu’à leur colonisation en 1764 sous la direction de l’officier Louis-Antoine de Bougainville, comte de Bougainville (né à Paris, France, et premier aide de camp du marquis de Montcalm cinq ans auparavant). Il a été impliqué comme plénipotentiaire dans la bataille des plaines d’Abraham de 1759 où 156 miliciens acadiens ont combattu auprès de la milice canadienne et de l’armée française. Sept Acadiens seraient fort probablement décédés le 13 septembre 1759. Les monuments commémorant le Grand Dérangement du peuple acadien indiquent avec précision que les îles Malouines ont été un lieu d’exil dans l’Atlantique Sud. Pour le moment, elles demeurent un site proposé pour le dressage à venir de ce noble monument commémoratif. Mais quelle est l’histoire de ces îles dépourvues d’arbres au pays des manchots, et quel a été le sort des Acadiens qui ont vécu à Port-Louis au sud du Brésil, non loin de l’Antarctique ?

L'Atlantique Sud
Atlantique Sud (Auteur Uwe Dedering, licence CC BY-SA 3.0, avec quatre lieux ajoutés)

Aux termes des articles de la capitulation de Montréal de 1760, Bougainville fut déporté en France sur un vaisseau de Sa Majesté britannique. Avec l’idée en tête d’une expédition dans les « Mers du Sud » (l’Atlantique Sud) pour y maîtriser éventuellement le commerce maritime, Bougainville suggère alors à la Cour de Louis XV l’établissement d’une colonie aux Malouines bien connues des mariniers de Saint-Malo qui les avaient antérieurement baptisées ainsi. Entre 1763 et 1766, plusieurs Acadiens, dénombrant près de 200 volontaires et n’ayant pas oublié ceux qui se sont battus pour conserver le Canada à la France, décidèrent de prendre part au grand voyage au bout du monde financé principalement grâce à un capital familial de Bougainville et sous le patronage de la Compagnie de Saint-Malo.

Avec l’autorisation du roi de France et le maintien royal d’une solde de six sous par jour pour chaque Acadien, les navires français l’Aigle, armée de vingt canons, et le Sphinx, de douze, et aussi munis de tout ce qui était propre pour une telle expédition, quittèrent le port de Saint-Malo jeudi le 15 septembre 1763.

Colonisation des Malouines

La colonie originelle de Port-Louis
La colonie originelle de Port-Louis au fond de la Baie française (Œuvre de Antoine-Joseph Pernety, domaine public)

Vendredi le 3 février 1764, après avoir fait escale à Montevideo en Uruguay pour acheter des chevaux et des bêtes à cornes, Bougainville et ses équipiers jetèrent l’ancre aux Malouines orientales au fond d’une grande baie qu’ils baptisèrent « Baie française » en souvenir d’une baie de l’Acadie nommée de la sorte par Samuel de Champlain en 1603 (devenue la baie de Fundy). Une fois l’emplacement de Port-Louis choisi d’un commun accord, les broussailles furent enlevées. Comme il n’y avait aucun arbre, les premiers Acadiens (une cinquantaine de personnes) érigèrent des huttes couvertes de bruyères ainsi qu’un fortin en terre et en gazon muni de 12 canons. Puis quelques jours plus tard, Bougainville prit officiellement possession des îles Malouines orientales pour la France. En avril 1765, sept douzaines d’Acadiens arrivèrent de Saint-Malo, augmentant la population à plus 130 habitants. Une troisième et dernière vague d’Acadiens comptant soixante-dix-neuf colons, dont la plupart étaient des Acadiens, se joignit à la « colonie des Mers du Sud » en 1766.

Des îles dépourvues d’arbres
Les Malouines sont dépourvues d’arbres (Source Bradt Guides)

Cession à l’Espagne

En 1765, durant une courte visite des îles Malouines occidentales, le commodore britannique John Byron, qui participa à la guerre de Sept Ans contre la France, revendique l’archipel des Malouines pour l’Angleterre. C’est alors que l’Espagne protesta contre cette présence considérée comme « illégale » tant à l’égard des Français que des Anglais, parce que les îles Malouines (Islas Malvinas en espagnol) faisaient partie de leur vice-royaume du Pérou. Soucieux d’éviter un conflit avec son allié, Louis XV céda ses droits sur l’archipel en vendant la petite colonie franco-acadienne au royaume d’Espagne, pour 618 108 livres (l’équivalent des dépenses encourues). Le 25 mars 1767, trois bâtiments de la Marine française vinrent rapatrier la colonie d’Acadiens et de quelques Français malouins fondée par Bougainville.

Si la plupart des colons quittèrent à bord des vaisseaux français, quelques rares familles acadiennes restèrent aux Malouines avec l’autorisation écrite du roi d’Espagne. En 1774, les Britanniques partirent des îles eux aussi, mais ils allaient les reprendre aux Argentins en 1833 et les appeler définitivement Falkland. Il est fort probable que des descendants d’Acadiens vivent encore aujourd’hui aux Malouines et qu’ils sont devenus des « sujets de Sa Majesté britannique ».

Références : voir MERS DU SUD